CHAPITRE 13

Comme ils avançaient vers l’ouest, cet après-midi-là, les lourds nuages violets qui barraient l’horizon, devant eux, montèrent dans le ciel, l’obscurcissant d’une façon inquiétante. Durnik s’approcha de Belgarath qui avançait en tête de la colonne.

— Toth dit que nous ferions mieux de nous abriter, annonça-t-il. Les orages sont parfois redoutables, au printemps, dans cette partie du monde.

— Une saucée de plus ou de moins… Nous n’en mourrons pas, rétorqua le vieux sorcier en haussant les épaules.

— Il dit que la tempête ne durera pas, reprit le forgeron. Elle devrait passer pendant la nuit, mais elle risque d’être très violente. Je pense que nous ferions mieux de l’écouter, tu sais. Le problème, ce n’est pas seulement la pluie et le vent ; d’après lui, il pourrait aussi grêler, et les grêlons sont parfois aussi gros que des pommes.

Belgarath scruta en soupirant les nuages d’encre, maintenant zébrés d’éclairs.

— Mouais. De toute façon, nous ne serions pas allés beaucoup plus loin, aujourd’hui. Il connaît un endroit où nous pourrions nous abriter dans le coin ?

— Il y a un village de paysans à une lieue d’ici. S’il est comme les autres, il devrait être désert et nous y trouverons sûrement un toit assez intact pour nous protéger de la grêle.

— Eh bien, allons-y. Ça ne va pas tarder à péter. Je vais demander à Beldin de reconnaître le terrain.

Il leva le visage et Garion sentit qu’il scrutait mentalement les cieux.

Ils foncèrent à bride abattue dans des bourrasques de vent glacial, parfois chargées de pluie, qui faisaient claquer les pans de leur cape autour d’eux.

En arrivant au sommet de la colline qui dominait le village, ils virent le front de l’orage avancer comme un mur à travers la plaine déserte.

— Ce sera juste. Allons-y, et en vitesse ! cria Belgarath pour se faire entendre de ses compagnons malgré la tourmente.

Ils dévalèrent la colline, dans les herbes follement agitées par le vent, puis traversèrent une ceinture de terre cultivée. Le village était entouré de murs, mais la porte avait été arrachée à ses gonds et la plupart des maisons incendiées. Les cavaliers suivaient une rue encombrée de gravats, les sabots de leurs chevaux claquant sur les pierres, lorsqu’un choc assourdi, puis un autre, ponctuèrent le mugissement du vent. Ils furent bientôt suivis d’une salve qui allait crescendo.

— La grêle ! hurla Garion.

Velvet poussa un cri et porta la main à son épaule. Silk réagit instinctivement. Il talonna son cheval, ôta sa cape, la jeta sur la tête de la jeune fille et la maintint au-dessus d’elle avec son bras, comme une tente protectrice.

Ils retrouvèrent Beldin dans la cour d’une maison relativement épargnée par les flammes et les pillards.

— Par ici ! appela-t-il d’un ton pressant. Les portes de l’écurie sont ouvertes. Faites-y entrer les chevaux, vite !

Ils mirent pied à terre, menèrent précipitamment leurs bêtes dans une écurie d’une immensité de cathédrale, en refermèrent les portes et coururent se mettre à l’abri dans la maison.

— On dirait que tout le monde a mis les voiles, marmonna Belgarath.

— Il n’y a pas âme qui vive, confirma Beldin. À moins qu’un bureaucrate melcène ne soit terré dans une cave, quelque part.

La grêle tombait si fort que le crépitement devint un rugissement continu. Garion jeta un coup d’œil au-dehors. Des masses énormes de glace s’abattaient sur les dalles de la cour où elles volaient en éclats. Le froid devint polaire.

— Eh bien, nous nous sommes abrités juste à temps, on dirait.

— Ferme la porte, Garion, suggéra Polgara. Nous allons faire du feu.

La salle dans laquelle ils s’étaient réfugiés donnait l’impression d’avoir été évacuée en hâte : la table et les chaises étaient renversées et de la vaisselle cassée jonchait le sol. Durnik fouilla les débris du regard et ramassa un bout de chandelle abandonné dans un coin. Il redressa la table, posa la bougie sur un morceau d’assiette et prit son silex, sa mèche d’amadou et sa lame d’acier.

Toth ouvrit la fenêtre, se pencha au-dehors, ferma les volets et les assujettit soigneusement.

La chandelle de Durnik coula un peu au début puis se mit à brûler d’une flamme régulière qui baigna la pièce d’une chaude lueur dorée. Malgré les débris éparpillés sur le sol et le mobilier en désordre, la pièce était accueillante. Les murs et le plafond, entre les poutres sombres, avaient été badigeonnés à la chaux. Le forgeron s’approcha de la vaste cheminée voûtée, hérissée de crémaillères. Des bûches étaient soigneusement empilées à côté.

— Eh bien, Messieurs, commença Polgara, ne restez pas les bras ballants comme ça ! Il faudrait relever les meubles, donner un coup de balai par terre et trouver d’autres chandelles. Pendant ce temps-là, j’aimerais inspecter les chambres.

Durnik se releva, jeta un regard critique au feu et dut s’estimer satisfait de son œuvre car il annonça qu’il allait voir les chevaux.

— Dis, Pol, tu veux que je te rapporte tes affaires ? proposa-t-il.

— Juste les provisions et ma batterie de cuisine, pour l’instant. Mais tu ne préfères pas attendre que ça se calme un peu ?

— La cour est entourée par une sorte d’auvent. Les gens qui ont construit cette maison devaient être au courant, pour le temps, répondit le forgeron avec un mouvement du pouce vers la tourmente qui faisait rage au-dehors.

Garion s’approcha de Velvet. La jeune fille était assise sur un banc et se tâtait l’épaule. Elle avait le visage blême et le front couvert de sueur.

— Ça va ? lui demanda-t-il.

— J’ai été plus surprise qu’autre chose, répondit-elle. Mais c’est gentil de vous inquiéter de ma santé.

— Gentil, je t’en fiche ! explosa-t-il soudainement. Je vous considère comme ma sœur, Liselle, et tout ce qui vous atteint me touche personnellement.

— C’est moi qui suis touchée, Majesté, fît-elle avec un sourire qui ensoleilla la pièce.

— Arrêtez cette comédie, Liselle. Vous n’avez pas besoin de crâner avec moi. Si vous avez mal, dites-le.

— Je vais avoir un superbe bleu, Belgarion, c’est tout, lui assura-t-elle en s’efforçant de faire passer par ses prunelles dorées un message de sincérité – pas mal imité, au demeurant.

— Vous mériteriez que je vous donne la fessée !

— Ça, c’est une idée intéressante !

Mais il n’y songeait pas sérieusement, bien sûr. À la place, il se pencha et lui planta un baiser sur le front.

— Eh bien, Majesté, se récria-t-elle, un peu surprise. Et si Ce’Nedra vous voyait ?

— Elle vous aime autant que moi et n’élèverait pas la moindre protestation. Je vais demander à tante Pol de s’occuper de votre épaule.

— Je vous assure que ça va, Belgarion.

— Vous voulez en discuter avec elle ?

— Non, fit-elle après réflexion. J’aimerais autant éviter cela. Envoyez-moi plutôt Kheldar pour me tenir la main.

— C’est tout ?

— Vous pouvez me donner un autre baiser, si vous y tenez absolument.

Polgara ouvrit la robe grise de Velvet avec un détachement tout professionnel pour examiner la grande marque violacée qui ornait l’épaule de la fille aux yeux de miel. Laquelle couvrit, en rougissant pudiquement, certains aspects proéminents de sa personne.

— Allons, vous n’avez rien de cassé, constata la sorcière en palpant délicatement l’ecchymose. Mais ça risque d’être assez douloureux.

— Je m’en suis aperçue, approuva sa patiente avec une grimace comique.

— Sadi, je voudrais un puissant analgésique, reprit Polgara. Qu’avez-vous à me proposer ?

— J’ai de l’oret, Dame Polgara, suggéra l’eunuque.

— Non, objecta la sorcière en fronçant le sourcil. Nous ne pourrions plus rien en tirer pendant des jours. Vous n’auriez pas plutôt du miseth ?

— Du miseth, Dame Polgara ? C’est un excellent remède contre la douleur, bien sûr, mais… vous en connaissez les effets secondaires, objecta le Nyissien en regardant la pauvre Velvet avec une expression indéchiffrable.

— Nous saurons l’en préserver, s’il le faut.

— Quels effets secondaires ? intervint Silk en se dressant auprès de la fille aux cheveux de miel comme pour la protéger.

— Il agit sur… hem, disons qu’il éveille certaines ardeurs, répondit Sadi avec tact. C’est surtout pour cette propriété qu’on l’apprécie en Nyissie.

— Ah, fit Silk, et son museau de fouine devint d’un rose intéressant.

— Une goutte, ordonna Polgara. Oh, et puis, mettez-en deux.

— Deux ! s’exclama l’eunuque.

— Je ne vois pas de raison de la laisser souffrir.

— Pour ça, elle devrait être tranquille, lui assura Sadi. Mais vous avez intérêt à la tenir à l’œil tant que l’effet du miseth se fera sentir.

— Je l’endormirai s’il le faut.

Sadi ouvrit sa mallette de cuir rouge et y préleva avec répugnance une fiole de liquide violet.

— Je tiens à vous dire, Dame Polgara, que je ne suis pas du tout d’accord.

— Faites-moi confiance.

— Je ne sais pas pourquoi, mais cette phrase me fait chaque fois l’effet d’un signal d’alarme, souffla Belgarath à l’oreille de Beldin.

— Tu es trop pusillanime. Nous ne pourrons aller nulle part tant que la gamine ne sera pas rétablie. Pol sait ce qu’elle fait.

— Tu as peut-être raison, concéda le vieux sorcier.

Sadi fit tomber deux gouttes de l’élixir violet dans une tasse d’eau, remua le mélange avec son doigt, s’essuya méticuleusement la main et tendit le tout à Velvet.

— Buvez ça doucement, lui ordonna-t-il. Vous allez vous sentir toute chose, vous allez voir.

— Toute chose ? répéta-t-elle d’un air suspicieux.

— Je vous expliquerai plus tard. Ce qui compte, pour l’instant, c’est que vous ne sentirez plus la douleur.

— Hé, c’est bon, constata-t-elle en goûtant le breuvage.

— Je vous crois, approuva l’eunuque. Et vous allez trouver le fond encore bien meilleur.

Velvet sirota le liquide à petites gorgées. Son visage devint tout à coup d’un joli rouge.

— Ouah, s’exclama-t-elle. Qu’est-ce qu’il fait chaud, ici ! Vous ne trouvez pas ?

— Ça va mieux ? demanda Silk en s’asseyant à côté d’elle.

— Hmm ?

— Ton épaule ? Elle va mieux ?

— Vous avez vu mon bleu, Kheldar ?

Elle ouvrit sa robe en grand pour lui montrer son hématome. Elle le lui montra, en effet – ainsi que bien d’autres choses, comme purent le constater tous ceux qui étaient dans la pièce à ce moment-là.

— Houlà ! murmura-t-elle distraitement, sans seulement faire mine de réparer le désordre de sa toilette.

— Je pense, Dame Polgara, que vous feriez bien de prendre les mesures que vous évoquiez tout à l’heure, susurra Sadi. Il est fort à craindre que de l’austère pudeur elle ne passe incessamment les bornes, comme dit le poète.

La sorcière opina du chef et posa la main sur le front de sa patiente. Garion entendit un léger bruit de vagues.

— J’ai envie de dormir, maintenant, souffla Velvet d’une voix ensommeillée. Serait-ce un effet de votre drogue ?

— En quelque sorte, acquiesça Polgara.

La tête de la jeune fille tomba en avant et elle s’appuya sur l’épaule de Silk.

— Emmenez-la par ici, Silk, ordonna la sorcière. Nous allons la mettre au lit.

Le Drasnien ramassa sa protégée endormie et quitta la pièce sur les talons de Polgara.

— Cette drogue a-t-elle toujours le même effet ? s’enquit innocemment Ce’Nedra.

— Le miseth ? Oh oui ! Il réveillerait une momie.

— Et… ça marche aussi sur les hommes ?

— Il agit sans distinction de sexe, Majesté.

— Comme c’est intéressant… Ne perdez pas cette petite bouteille, Sadi, dit-elle en coulant un regard vers Garion.

— Bon, si on parlait d’autre chose ? murmura sa proie.

Quand Polgara revint, un quart d’heure plus tard, les autres avaient remis de l’ordre dans la pièce, ainsi qu’elle le constata avec un sourire.

— Elle dort, annonça-t-elle en posant sa chandelle sur la table. J’en ai profité pour jeter un coup d’œil dans les autres chambres. La maîtresse de maison devait être une personne très ordonnée. Seule cette pièce a été vraiment chamboulée lors du départ de ses occupants. Vous avez bien choisi, mon Oncle, conclut-elle en lissant le devant de sa robe grise avec satisfaction.

— Je suis content que la maison te plaise, répondit-il.

Il était vautré sur un banc à haut dossier, près de la fenêtre, et renouait soigneusement le lacet de cuir qui retenait sa manche gauche déchirée.

— Nous sommes encore loin du fleuve ? demanda Belgarath.

— Au moins une bonne journée de cheval. Je ne peux pas être plus précis. Quand le vent s’est levé, j’ai cru que j’allais y laisser toutes mes plumes.

— La région est-elle toujours déserte, vers l’avant ?

— Difficile à dire. J’étais assez haut, et s’il y avait des gens, avec cette tempête, ils ne traînaient pas dehors.

— Il sera toujours temps de voir demain matin.

Le vieux sorcier s’appuya confortablement au dos de son fauteuil et tendit les jambes devant lui, vers le foyer.

— Vous avez eu une bonne idée de faire du feu, décréta-t-il. Il fait vraiment un froid de canard.

— C’est souvent ce qui arrive quand on entasse trois ou quatre pouces de glace par terre, ironisa le vilain petit sorcier. Si ce genre d’orages prend l’habitude d’éclater tous les après-midi, dans la région, nous avons intérêt à traverser la Magan le matin, ajouta-t-il en fronçant pensivement le front. Je n’aimerais pas spécialement me retrouver sous la grêle au beau milieu du fleuve, dans un bateau découvert.

— Ah, maintenant, ça suffit ! ronchonna Sadi.

Il tenait à la main la bouteille de terre cuite de Zith.

— Qu’y a-t-il ? s’inquiéta Ce’Nedra.

— Elle faisait un drôle de petit bruit, répondit l’eunuque. J’ai voulu voir si elle allait bien et elle m’a sifflé au nez.

— Ça lui est déjà arrivé, non ?

— Cette fois, c’était différent. J’ai eu vraiment l’impression qu’elle m’avertissait de ne pas approcher d’elle.

— Elle n’est pas malade, au moins ?

— Je ne crois pas. C’est un jeune serpent, et j’ai toujours fait très attention à son alimentation.

— Elle a peut-être besoin d’un petit remontant.

Ce’Nedra interrogea Polgara du regard.

— Je suis désolée, mon chou, répondit la sorcière en riant, mais je ne connais rien aux maladies des reptiles.

— Vous ne pourriez pas parler d’autre chose ? fit plaintivement Silk. Votre Zith est une bonne bête, mais c’est tout de même un serpent.

La petite reine de Riva fît volte-face et se tourna vers lui, les yeux jetant des éclairs.

— Comment pouvez-vous dire une chose pareille ? Deux fois, elle nous a sauvé la vie : à Rak Urga, quand elle a mordu ce Grolim, Sorchak, et puis à Ashaba, quand elle a donné le baiser de la mort à Harakan. Sans elle, nous ne serions pas là. Vous pourriez au moins lui témoigner un peu de gratitude.

— Eh bien…, bredouilla-t-il, un peu décontenancé Vous avez sûrement raison, mais je n’y peux rien. J’ai la phobie des serpents.

— Pour moi, ce n’est pas un serpent.

— Écoutez, Ce’Nedra, reprit-il patiemment, elle est longue et fine, elle n’a ni bras ni jambes, elle rampe et elle est venimeuse. C’est la définition même du serpent.

— Ce sont d’odieux préjugés !

— Si vous voulez.

— Vous me décevez cruellement, Prince Kheldar. C’est une brave petite créature, douce et aimante, et je vous trouve très injuste avec elle.

Il la regarda un moment, puis se leva et se fendit d’une révérence outrancière devant la bouteille de terre cuite.

— Je suis horriblement désolé, ma chère Zith, fit-il avec emphase. Je ne sais pas ce qui m’a pris. Trouveras-tu jamais, dans ton petit cœur vert et glacé, assez d’indulgence pour me pardonner ?

Zith lui lança un long sifflement qui s’acheva par un curieux grommellement.

— Elle vous dit de lui fiche la paix, traduisit Sadi.

— Vous comprenez vraiment ce qu’elle raconte ?

— En général, oui. Les serpents ont un vocabulaire assez limité, alors il n’est pas difficile de saisir une phrase par-ci, par-là. Mais je trouve qu’elle vitupère beaucoup, ces temps derniers, et ça ne lui ressemble pas. Ordinairement, c’est une petite demoiselle serpent très bien élevée.

— Je n’en crois pas mes oreilles, grommela Silk en secouant la tête.

Il disparut dans le couloir menant vers les chambres.

Durnik, Toth et Essaïon revinrent avec les paquets contenant les vivres et les ustensiles de Polgara. Celle-ci considéra la cheminée et ses accessoires d’un œil appréciateur et leur tint à peu près ce discours :

— Nous avons mangé d’une façon plutôt frugale, ces temps derniers. Nous disposons ici d’une cuisine assez bien équipée. Il serait dommage de ne pas en profiter. L’ennui, ajouta-t-elle en fouillant dans les provisions, c’est que j’ai à peine mieux que des rations de soldat à vous offrir.

— Il y a un poulailler, dehors, tu sais, insinua Beldin, toujours coopératif.

— Durnik, mon chou…, fit Polgara avec un sourire rêveur.

— J’y vais, ma Pol. Tu en veux combien ? Trois ?

— Disons quatre. Comme ça, nous aurons du poulet froid à emporter, demain, en repartant. Ce’Nedra, allez avec lui et ramassez tous les œufs que vous pourrez trouver.

La petite reine la regarda avec stupéfaction.

— Je n’ai jamais ramassé les œufs, Dame Polgara, protesta-t-elle.

— Ce n’est pas difficile, mon chou. Prenez garde à ne pas les casser, c’est tout.

— Mais…

— Je pourrai peut-être vous faire une omelette au fromage pour le petit déjeuner.

Les yeux de Ce’Nedra s’illuminèrent aussitôt.

— Je vais chercher un panier, annonça-t-elle vivement.

— C’est une idée magnifique, mon chou. À part ça, mon Oncle, vous avez repéré d’autres choses intéressantes ?

— Il y a un cagibi, derrière la maison, où ils devaient brasser la bière, répondit-il avec un haussement d’épaules, mais je n’ai pas eu le temps d’y regarder de plus près.

Belgarath se leva d’un bond.

— Allons voir ça tout de suite, suggéra-t-il.

— Oh, tu sais, la bière de ménage est souvent décevante.

— On a parfois de bonnes surprises. Le seul moyen d’en avoir le cœur net, c’est d’y goûter.

— Ça, c’est bien vrai.

Les deux vieux sorciers sortirent d’un même pas pendant qu’Essaïon rajoutait du bois sur le feu.

Ce’Nedra revint sur ces entrefaites, l’air contrarié.

— Elles ne veulent pas me donner leurs œufs, Dame Polgara, pleurnicha-t-elle. Elles sont assises dessus.

— Il faut fouiller dessous et les leur prendre, mon chou.

— Elles risquent de ne pas aimer ça, non ?

— Vous n’allez pas me dire que vous avez peur d’une poule, tout de même ?

Les yeux de la petite reine devinrent d’une dureté adamantine et elle ressortit avec détermination.

Il y avait des réserves de légumes dans le cellier, derrière la maison, et Belgarath et Beldin rapportèrent un tonnelet de bière du fameux cagibi. Pendant que les poulets rôtissaient, Polgara trouva de la farine et un certain nombre d’autres ingrédients dans les boîtes et les bocaux de la cuisine. Elle retroussa ses manches d’un air très professionnel, prépara un grand baquet de pâte et l’étala près du feu, sur une planche bien nettoyée.

— Ce soir, il y aura des biscuits, annonça-t-elle. Et je vais vous faire du pain frais pour demain matin.

Garion estima que c’était le meilleur souper qu’ils avaient fait depuis des mois. Il leur était arrivé de se régaler dans certaines auberges, et même de festoyer, mais la cuisine de tante Pol avait une qualité indéfinissable qu’aucun cuisinier au monde n’égalerait jamais. Après avoir un peu plus mangé peut-être que de raison, il repoussa son assiette et se laissa aller sur le dossier de sa chaise avec un soupir de satisfaction.

— Nous te sommes infiniment reconnaissants de nous en laisser des miettes, lâcha Ce’Nedra d’un petit ton pincé.

— Allons bon ! Je t’ai fait quelque chose ?

— Mais non, Garion, ce n’est pas ça. Je suis juste un peu en rogne, c’est tout.

— En rogne ? Et pourquoi ?

— Une poule m’a donné un coup de bec. Celle-ci, ajouta-t-elle en indiquant une carcasse de poulet gisant sur le plat.

Elle tendit la main, lui arracha une cuisse et y planta sauvagement ses petites dents blanches.

— Tiens ! fit-elle d’un ton vengeur. Ça t’apprendra !

Garion retint un fou rire. Il connaissait trop bien sa tendre épouse.

Après dîner, ils s’attardèrent un moment à table, dans une sorte de satisfaction béate. Ils écoutaient la tempête s’apaiser au-dehors lorsqu’on frappa doucement, presque timidement, à la porte. Garion se leva d’un bond et passa la main par-dessus son épaule, prêt à dégainer son épée.

— Je ne voudrais pas vous déranger, fit une vieille voix un peu plaintive. Je voulais juste m’assurer que vous ne manquiez de rien.

Belgarath se leva à son tour et alla ouvrir la porte.

— Loué sois-Tu, Saint Belgarath, fit leur visiteur en s’inclinant avec un profond respect.

C’était un très vieil homme aux cheveux blancs comme neige et au visage ascétique, ridé comme une pomme.

Et surtout, c’était un Grolim.

Belgarath le considéra avec méfiance.

— Vous savez qui je suis ?

— Évidemment. Je sais qui vous êtes tous. Je vous attendais. Je peux entrer ?

Belgarath s’écarta pour le laisser passer. Le vieux Grolim entra en trottinant dans la pièce, courbé sur un bâton noueux. Il s’inclina devant Polgara.

— Dame Polgara, murmura-t-il, puis il se tourna vers Garion. Majesté… Puis-je implorer votre pardon ?

— Pardon pour quoi ? rétorqua le jeune roi de Riva. Vous ne m’avez rien fait, que je sache ?

— Oh, si, Majesté. Quand j’ai appris ce qui s’était passé à la Cité de la Nuit sans Fin, je vous ai haï. Me pardonnerez-vous jamais ?

— Je n’ai rien à vous pardonner. Votre réaction était compréhensible. Mais dois-je comprendre que vous avez changé d’avis ?

— On m’en a fait changer, roi Belgarion. Le Nouveau Dieu des Angaraks sera un Dieu meilleur, plus aimant que Torak. Je ne vis plus maintenant que pour le servir, et dans l’attente de son avènement.

— Asseyez-vous, mon ami, fit Belgarath. J’en déduis que vous avez fait une sorte d’expérience mystique ?

Le vieux Grolim se laissa tomber sur une chaise, un sourire béat inscrit sur sa vieille face ridée.

— Mon cœur, Saint Belgarath, a été touché par la grâce, dit-il simplement. J’avais consacré ma vie au service de Torak, dans le Temple de ce village. Vous ne pourrez jamais imaginer combien j’ai souffert en apprenant Sa mort, moi qui L’avais toujours aveuglément suivi. À présent, j’ai ôté Son effigie du mur du Temple et l’autel est couvert de fleurs et non plus du sang des victimes offertes au Dieu-Dragon. Je me repens amèrement du temps où je tenais de ma propre main le couteau du sacrifice.

— À quoi attribuez-vous ce changement ? s’enquit Polgara.

— À une voix, Dame Polgara. Une voix qui m’a parlé dans le secret de mon âme et m’a empli d’une telle joie que le monde, depuis, me paraît baigné de lumière.

— Et que vous a dit cette voix ?

Le vieux prêtre fouilla dans les plis de sa robe noire et déroula un rouleau de parchemin.

— J’ai soigneusement retranscrit son message, ainsi qu’elle me l’a ordonné. Il est aisé de mal interpréter ce que l’on entend, de le déformer si on ne l’a pas aimé ou si on l’a mal compris. Mais si j’ai tout mis par écrit, c’est pour le bénéfice d’autrui, continua-t-il avec un sourire d’une infinie douceur, car ses paroles sont gravées dans mon cœur et ne s’effaceront jamais. « Or donc », lut-il d’une voix chevrotante en élevant le parchemin devant ses yeux. « Dans le moment qui suivra la rencontre de l’Enfant de Lumière et l’Enfant des Ténèbres dans la Cité de la Nuit sans Fin, les serviteurs du Dieu des Ténèbres connaîtront un immense désespoir, car Il aura été défait et ne reviendra pas parmi Son peuple. Mais que ton cœur ne s’afflige point. Ton désespoir cédera comme la nuit devant l’avènement d’un nouveau soleil. En vérité je te le dis, le peuple angarak connaîtra une vie nouvelle avec la venue de son vrai Dieu, Celui qui était censé le guider depuis le Commencement des Ages. En vérité je te le dis, le Dieu des Ténèbres avait surgi du néant lors de l’Événement qui divisa la Création. Il n’était pas destiné à guider et à protéger les Angaraks. Lors de l’ultime rencontre entre l’Enfant des Ténèbres et l’Enfant de Lumière, le vrai Dieu des Angaraks sera révélé, et tu Lui confieras ton cœur et tu L’adoreras.

« La voie que suivront les Angaraks sera déterminée par le Choix. Une fois le Choix effectué, rien, dans les temps à venir, ne pourra le défaire. Il s’imposera pour toujours et à jamais, pour le meilleur ou pour le pire. En vérité je te le dis, deux ils seront à l’Endroit-qui-n’est-plus, mais un seul sera choisi. L’Enfant de Lumière et l’Enfant des Ténèbres transmettront le fardeau des esprits qui les guident à ces deux-là qui seront venus dans l’attente du Choix. Et si l’un des côtés est choisi, le monde s’abîmera dans les ténèbres, mais si l’autre est élu, tout sera baigné de lumière, et ce qui devait être depuis le commencement des âges enfin sera.

« Attends donc avec espoir, et traite tes semblables avec bienveillance, car cela sied au Vrai Dieu, et s’il advenait qu’il soit choisi, Il te bénirait et léger serait le joug qu’il poserait sur tes épaules. »

Le vieux Grolim laissa retomber la main qui tenait le parchemin et baissa la tête comme s’il priait.

— Ainsi a parlé la voix qui a empli mon cœur de joie et en a banni le désespoir, conclut-il simplement.

— Nous vous sommes reconnaissants d’avoir partagé cette nouvelle avec nous, murmura Belgarath. Pouvons-nous vous offrir quelque chose ? ajouta-t-il en indiquant la table d’un geste d’invite.

— Je ne mange plus de viande, répondit le vieux Grolim en secouant la tête. Je ne veux pas offenser mon Dieu. J’ai raccroché mon couteau et ne verserai plus le sang de ma vie. Je vais vous laisser, maintenant, dit-il en se levant. J’étais venu vous annoncer le message que la voix m’a révélé et vous assurer qu’un Angarak au moins priait pour votre succès.

— Soyez-en remercié, fit sincèrement Belgarath.

Il alla à la porte et l’ouvrit devant le doux vieillard.

— Ce n’était pas trop fumeux, pour une fois, commenta Beldin après son départ. C’est la première fois que je tombe sur une Prophétie aussi explicite.

— Vous voulez dire que c’était un vrai prophète ? demanda Silk.

— Évidemment. Il présente tous les symptômes classiques : l’extase, le changement radical de personnalité – rien n’y manque.

— Pour un cas classique, il y a tout de même quelque chose qui cloche, objecta Belgarath en se rembrunissant. J’ai passé des millénaires à lire des Prophéties, et je trouve que ses paroles ne sonnent pas comme les autres, ni les nôtres ni celles du camp adverse. Garion, tu ne pourrais pas entrer en contact avec notre ami ? J’aimerais lui parler.

— Je vais essayer. Mais tu sais qu’il ne répond pas forcément quand on l’appelle.

— Essaie toujours. Dis-lui que c’est important.

— Je vais voir ce que je peux faire.

Garion se rassit et ferma les yeux.

— Vous êtes là ? demanda-t-il.

— Ne crie pas comme ça, Garion, protesta la voix. Tu me casses les oreilles.

— Pardon, s’excusa Garion. Je n’avais pas réalisé que je parlais si fort. Grand-père voudrait vous parler.

— Très bien, Garion. Mais ouvre les yeux. Je n’y vois rien quand tu les fermes.

Le jeune homme retrouva l’impression qu’il avait déjà eue à plusieurs reprises d’être repoussé dans un coin de son propre esprit, et la voix sèche prit le relais.

— Alors, Belgarath, dit-elle par les lèvres de Garion. Qu’y a-t-il cette fois ?

— J’ai quelques questions à vous poser, répondit le vieux sorcier.

— Ça, ce n’est pas nouveau. Tu as toujours des questions à poser.

— Vous avez entendu ce que nous a dit le Grolim ?

— Évidemment.

— C’était vous ? Je veux dire, est-ce votre voix qu’il a entendue ?

— Non, ce n’était pas moi.

— C’était donc l’autre esprit ?

— Non, ce n’était pas lui non plus.

— Alors qui était-ce ?

— Il y a des moments où j’ai peine à croire qu’Aldur t’ait pris pour premier Disciple. Aurais-tu du fromage mou à la place de la cervelle ?

— Vous n’avez pas besoin de vous montrer insultant, rétorqua Belgarath, l’air un peu froissé, mais Beldin éclata d’un vilain rire caquetant.

— Très bien, fit la voix dans un soupir. Je vais y aller doucement. Tâche de suivre, si tu peux. Nous avons commencé à exister, mon analogue et moi-même, lorsque la Destinée a été divisée. Ça va, jusque-là ?

— Je le savais déjà.

— Et tu as réussi à ne pas l’oublier ? C’est stupéfiant.

— Merci, fit Belgarath d’une voix atone.

— Je parle par la bouche de Garion. Ce n’est qu’un paysan, et il emploie parfois des termes un peu abrupts. Bien, il est logique qu’une fois réunifiée la Destinée s’exprime par une nouvelle voix, tu ne crois pas ? Nous aurons rempli notre but, mon analogue et moi-même. On n’aura plus besoin de nous. Des millions d’années d’inimitié entre nous ont un peu gauchi notre perception.

« Réfléchis, vieillard, reprit la voix, comme Belgarath encaissait la nouvelle. Je ne suis pas fait pour envisager un univers uni. J’ai trop de vieilles rancunes. La nouvelle voix pourra repartir de zéro, sans idées préconçues. Ce sera mieux comme ça, crois-moi.

— Vous me manquerez.

— Fais-moi grâce de ce genre de mièvrerie, Belgarath. Je crois que je ne le supporterais pas.

— Attendez un peu. Cette nouvelle voix apparaîtra après la rencontre, d’accord ?

— À l’instant de la rencontre, pour être plus précis.

— Mais si elle n’existe pas encore, comment a-t-elle pu parler au vieux Grolim ?

— Le temps ne veut pas dire grand-chose pour nous, Belgarath. Nous pouvons nous déplacer dans un sens comme dans l’autre, sur les voies du temps.

— Vous voulez dire qu’elle s’exprimait… de l’avenir ?

— C’est manifeste, répondit la voix et Garion sentit un petit sourire ironique retrousser les commissures de ses lèvres. Dans le fond, qu’est-ce qui te prouve que je ne te parle pas du passé ?

Belgarath accusa le coup.

— Pendant que nous vous tenons, intervint Beldin d’un ton triomphant, nous allons gagner, n’est-ce pas ?

— On peut l’espérer, mais ce n’est pas certain.

— La voix qui parlait au Grolim était celle d’un Dieu d’amour, n’est-ce pas ?

— Oui.

— Si l’Enfant des Ténèbres devait l’emporter, le Nouveau Dieu ne serait sûrement pas très bienveillant, hein ?

— Non.

— Le simple fait que cette voix soit venue de l’avenir – après le Choix – indiquerait donc que c’est l’Enfant de Lumière qui va l’emporter ?

— Allons, Beldin, soupira la voix, pourquoi faut-il toujours que tu compliques les choses ? La voix qui a parlé au Grolim était la possibilité du nouvel esprit. Elle a juste remonté le temps pour effectuer certains préparatifs afin que tout soit prêt dans l’éventualité où elle sortirait victorieuse de la confrontation. Mais le Choix n’a pas encore eu lieu, tu le sais.

— Je m’étonne qu’une simple possibilité d’existence soit investie d’un tel pouvoir.

— Le possible a d’énormes pouvoirs, Beldin. Des pouvoirs plus puissants parfois que lorsqu’il devient réalité.

— Dans ce cas, la possibilité de l’autre esprit est sans doute en train de faire ses préparatifs, elle aussi, non ?

— C’est fort probable, en effet. Je dois dire que tu as une vision stupéfiante de l’évidence.

— Alors nous nous retrouvons à notre point de départ. Nous aurons toujours affaire à deux esprits qui luttent pour la suprématie par-delà le temps et l’univers.

— Non. Le Choix éliminera l’une des possibilités une fois pour toutes.

— Je ne comprends pas, avoua Beldin.

— Je ne m’attendais pas à ce que tu comprennes.

— À quels préparatifs procédait cette nouvelle voix en se faisant entendre de cet homme ? demanda tout à coup Polgara.

— Le Grolim qui est venu vous voir était le prophète et le premier Disciple du Nouveau Dieu – dans l’hypothèse où l’Enfant de Lumière serait choisi, évidemment.

— Un Grolim ?

— On ne m’a pas demandé mon avis. Mais comme le Nouveau Dieu sera le Dieu des Angaraks, j’admets que ça se tient.

— J’en connais qui risquent d’avoir du mal à avaler ça.

— Ah, Polgara, tu as autant de préjugés que moi, fit la voix avec un petit rire. Mais je te crois tout de même plus adaptable. Tu l’es assurément davantage, en tout cas, que ces deux vieillards entêtés. Tu t’y feras, avec le temps, tu verras. Maintenant, si vous n’avez plus de questions, j’ai autre chose à faire, ailleurs dans le temps.

Et la voix s’en fut.

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